Traumatisme et psycho-traumatisme : analyse à travers l'histoire
Etymologiquement, le mot traumatisme vient du grec ancien « trauma » qui signifie « blessure ».
Le traumatisme psychique se définit comme « un phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant… » (Croq, 1999).
Ainsi, l’événement traumatique, médiatisé par la mémoire du sujet, déborde ses capacités d'élaboration, confrontant celui-ci avec la mort et entraînant un effondrement du sentiment d'invulnérabilité. Au cours de l’histoire, différents modèles étiopathogéniques ont contribué à l’essor de la notion de traumatisme, évolution elle-même accentuée par la tragédie des guerres traumatogènes du XXè siècle.
Approche psychodynamique : effraction du psychisme et débordement des défenses
En 1888, Oppenheim crée l’entité diagnostique « névrose traumatique », pour désigner les séquelles psychiques des victimes d’accidents de chemin de fer. Selon lui, la névrose est engendrée par « l’effroi qui provoque un ébranlement psychique tellement intense, qu’il en résulte une altération psychique durable » (Crocq,2012).
Le traumatisme est perçu comme un séisme pour le psychisme. Janet, de son côté, postule la notion de « traumatisme psychologique » : le traumatisme nait de la dissociation du sujet et le souvenir traumatique constitue un « corps étranger » (Crocq,2012).
A la suite, Freud avance que c’est la réminiscence du souvenir traumatique, qui déclenche l’« attaque hystérique », conduisant à un clivage de conscience. Puis, à partir de 1920, il affirme que le traumatisme résulte de l’effraction du « pare-excitation », enveloppe de protection de l’appareil psychique, et du débordement subséquent des capacités de contenance.
Approche comportementaliste et cognitiviste : conditionnement aversif vs traitement inapproprié de l’information
- L’approche comportementaliste envisage le traumatisme comme un apprentissage : les stimuli neutres (objets, cognitions, bruits…) présents lors de l’événement traumatisant deviennent aversifs, par association et répétition (conditionnement classique), ce qui conduit l’individu à adopter des comportements d’évitement, par renforcement négatif (conditionnement opérant). Mowrer (1960) a conceptualisé ce double conditionnement dans sa « théorie des deux facteurs ». Pour plus d'informations sur cette théorie, vous consultez cet article : nospensees.fr
- Cette perspective a été critiquée par les tenants de l’approche cognitiviste. Ainsi, Foa (1986) identifie des « structures de la peur » pour expliquer les mécanismes sous-jacents au traumatisme. Selon ce modèle, l’événement traumatique est interprété à travers le prisme de schémas cognitifs dysfonctionnels, péjorant la vision de l’environnement.
- Face au débordement cognitif, Horowitz (1988) postule l’existence d’une « mémoire active », dans laquelle se place l’événement traumatique, et où se répète les éléments de l’expérience. C’est par un mécanisme de « tendance au complètement », que l’individu va alors tenter de procéder à l’intégration progressive des nouvelles informations à son vécu.
Du DSM I au DSM V : reconnaissance des victimes et élargissement du champ d’application
Si au début du XXè siècle, nait le concept de névrose de guerre (Honigman, 1908), pour catégoriser les traumatismes des blessés psychiques de guerre, il faudra attendre 1952, pour que la nosographie américaine (DMS I) établisse le diagnostic de « réaction de stress majeure ».
Remanié lors du DSM II, dans un contexte de guerre du Vietnam traumatogène, il fait place en 1980 (DSM III) à l’État de Stress Post Traumatique ou ESPT (ou PTSD en anglais). Affranchi de toute connotation psychanalytique, cette conception apporte des avancées majeures : imputation des troubles à un agent extérieur et non plus à une vulnérabilité interne, accès à une indemnisation, reconnaissance des auteurs d’exaction comme victimes de PTSD (soldats coupables de crimes de guerre), élargissement du champ d’application à d’autres événements de la vie civile (accidents, catastrophes naturelles…).
En 1994, le DSM IV adjoint le diagnostic d’« état de stress aigu »afin de prendre en compte les réactions immédiates et post-immédiates, intervenant notamment dans le mois qui suit le traumatisme.
Enfin, en 2013, le DSM V consacre un chapitre complet à l’ensemble des troubles consécutifs aux traumatismes et au stress. Il ajoute l’agression sexuelle et sa menace, ainsi que la notion de « contamination », correspondant au fait qu’un sujet puisse être traumatisé du fait de sa proximité émotionnelle avec une victime directe.
Attentats du 13 novembre 2015 : reconnaissance sociale, financière et juridique des victimes
Perpétrés à Paris, ces attentats (fusillades et attaques suicides) au retentissement international, ont eu un impact traumatique majeur pour les personnes directement ou indirectement exposées. Prise en charge, reconnaissance et droit à réparation des victimes revêtent plusieurs formes.
Tout d’abord, les victimes disposent de droits alloués par le guichet unique d’information et de déclaration des victimes, qui offre une assistance pluridimensionnelle : prise en charge médico-psychologique, organisation d’obsèques, service de demandes à titre posthume (mariage), dispositif spécifique aux mineurs et jeunes majeurs (pupille de la Nation). Ce service permet également la reconnaissance du statut de victime, en délivrant, sur demande, la médaille nationale de reconnaissance des victimes. En termes financiers, les victimes peuvent faire valoir leur droit à réparation par l’indemnisation des préjudices corporels, psychologiques et matériels qu’elles ont subis, auprès du Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI), organisme de service public, agissant au nom de la solidarité nationale.
Les commémorations officielles annuelles inscrivent l’événement traumatique dans la mémoire collective. Le 7 septembre 2018, la délégation interministérielle à l’aide aux victimes (DIAV) et le Comité mémoriel ont édité un rapport sur la manière de commémorer les différents attentats terroristes : création d’un Musée mémorial, inscription des questions du terrorisme dans les manuels scolaires, autorisation de l’enregistrement filmé des procès en matière de terrorisme. Au niveau de la société civile, un collectif baptisé « 13-Novembre » s’est donné pour objectif d’étudier la construction et l’évolution de la mémoire des attentats. Il vient d’ailleurs de publier un livre "13-Novembre. Des témoignages, un récit" (Nattiez, Peschanski, Hochard, 2020). Ces engagements sociétaux favorisent le passage d’une position « passive » de victime à celle plus « active » de témoin, acteur de son temps.
Ainsi, l’ensemble de ces actions sociales, politiques et juridiques ont permis de répondre aux besoins de reconnaissance et de réparation des victimes d’attentat, tout en écrivant une nouvelle page du « traumatisme d’attentat » dans l’histoire collective.