Revenir, un voyage à rebours
Le retour d’expatriation est une étape de transition souvent sous-estimée, parfois plus complexe que le départ. Si partir à l’étranger est une aventure exaltante, revenir peut ressembler à naviguer sur une mer agitée, avec un sentiment de décalage, des défis professionnels et des bouleversements psychologiques.
Pour reprendre les mots de Saint-Exupéry dans Terre des Hommes : « Ce qui importe, ce n’est pas d’arriver, mais de voyager. »
Pourtant, après avoir voyagé, le retour est rarement perçu comme une fin de parcours, mais plutôt comme une nouvelle étape qui chamboule l’identité et la stabilité acquises à l’étranger.
Dans cet article, nous explorerons les difficultés du retour d’expatriation et proposerons un exemple concret de suivi psychologique pour un patient en détresse, à travers les approches de Freud, Rogers, Mead, Erickson et Bandler.
Les Défis du Retour : une réalité souvent sous-estimée
Les défis professionnels
La réinsertion professionnelle est souvent semée d’embûches :
- Non-reconnaissance des compétences : Selon une étude citée dans le mémoire d’Elsa Guérin, 58 % des expatriés estiment que leurs compétences acquises à l’étranger ne sont pas valorisées.
- Réseau affaibli : Seuls 33 % des expatriés maintiennent activement des contacts professionnels en France pendant leur expatriation, ce qui complique leur recherche d’emploi au retour.
Les défis Psychologiques du Retour d’Expatriation
Le retour d’expatriation constitue une transition qui bouleverse profondément l’équilibre psychologique des individus. Cette étape, souvent sous-estimée, est marquée par une série de défis émotionnels et identitaires liés à la confrontation entre l’expérience vécue à l’étranger et la réalité du retour.
1. Le choc culturel inversé : une étrangeté familière
Revenir dans son pays d’origine devrait, en théorie, être synonyme de confort et de sécurité. Pourtant, de nombreux expatriés décrivent un sentiment d’étrangeté, comme si leur environnement, autrefois familier, leur était devenu inconnu.
- Le paradoxe du retour : Contrairement au choc culturel initial, qui est anticipé et accompagné, le choc culturel inversé est souvent inattendu. L’expatrié revient avec de nouvelles valeurs, habitudes et perspectives, mais il retrouve un environnement qui n’a pas changé à la même vitesse que lui. Cette dissonance crée un sentiment de déconnexion.
Témoignage : « J’avais imaginé que tout serait plus simple une fois de retour. Mais en réalité, c’est comme si je ne comprenais plus mon propre pays. »
- Un sentiment d’isolement : Les proches s’attendent souvent à ce que l’expatrié reprenne immédiatement ses repères. Or, il se sent souvent incompris ou jugé lorsqu’il partage son expérience, amplifiant son sentiment de solitude.
2. La perte et le deuil : une transition émotionnelle
Le retour est souvent perçu comme une accumulation de pertes :
- Perte d’un mode de vie : L’expatrié quitte un cadre où il avait peut-être trouvé un équilibre personnel et professionnel. Cette séparation peut entraîner une nostalgie intense pour un passé idéalisé.
- Exemple : Des expatriés évoquent leur regret de quitter une société plus ouverte ou un environnement professionnel plus épanouissant.
- Perte d’identité sociale : À l’étranger, être expatrié confère un statut valorisant. Ce rôle distinctif disparaît souvent au retour, laissant place à une impression de banalisation.
- Perte émotionnelle : Loin de ses amis ou collègues de son pays d’accueil, l’expatrié vit une séparation émotionnelle, comparable à un deuil.
William Bridges, dans son modèle de gestion des transitions, décrit cette période comme une phase où l’ancien soi doit être déconstruit pour permettre la reconstruction dans un nouvel environnement.
3. La quête identitaire : entre deux mondes
L’expatriation transforme profondément l’identité. Au retour, l’expatrié est confronté à un double conflit :
- L’identité d’avant : Ce qu’il était avant son départ, attaché aux codes sociaux et culturels du pays d’origine.
- L’identité façonnée par l’expatriation : Une version de lui-même plus ouverte, diversifiée et enrichie par son expérience internationale.
- Le psychologue George Herbert Mead, à travers sa théorie du Soi, explique que l’identité se construit à travers les interactions sociales. À son retour, l’expatrié doit ajuster son « soi » en intégrant ces nouvelles expériences dans un contexte où elles ne sont pas toujours valorisées.
Le stress d’acculturation inversée : John Berry appelle cette tension « stress d’acculturation inversée ». Ce processus, similaire à l’adaptation initiale dans un pays étranger, est souvent plus difficile car l’expatrié ne s’attend pas à ressentir un tel décalage dans son propre pays.
4. La nostalgie : un lien ambigu avec le passé
La nostalgie est une émotion omniprésente dans le retour d’expatriation.
Elle peut être double :
- Positive : Elle renforce le lien émotionnel avec les expériences passées, apportant un sentiment de continuité.
- Négative : Elle alimente une idéalisation du passé et rend l’engagement dans la réalité présente plus difficile.
Exemple : Les expatriés comparent souvent les aspects positifs de leur pays d’accueil avec les aspects négatifs de leur pays d’origine, ce qui amplifie leur sentiment d’insatisfaction.
Fernando Pessoa illustre ce sentiment dans Le Livre de l’intranquillité : « La vie est un voyage expérimental, fait involontairement. » La nostalgie ancre l’expatrié dans un voyage qu’il peine à terminer, le rendant incapable de s’investir pleinement dans son présent.
5. Les troubles psychologiques associés
Les défis mentionnés se manifestent souvent par des troubles psychologiques, notamment :
- Anxiété : Les incertitudes liées à la réintégration sociale et professionnelle déclenchent des troubles anxieux.
- Insomnies et ruminations : Le retour provoque une réflexion constante sur les choix passés, empêchant l’expatrié de trouver la sérénité.
- Dévalorisation de soi : L’impression de ne pas réussir à réintégrer son environnement alimente une perte de confiance en soi.
- Dépression : Les expatriés peuvent se sentir prisonniers d’un environnement qui ne répond plus à leurs attentes, ce qui peut conduire à un repli sur soi.
Étude de Cas : Prendre en Charge le Retour Difficile
Pierre, 42 ans, a passé huit années au Canada. Là-bas, il a vécu une expérience professionnelle et humaine extraordinaire. Depuis son retour en France, il peine à s’adapter. Il décrit un décalage insupportable entre l’excitation du retour et la réalité : il n’a pas trouvé d’emploi, ses relations sociales sont fragiles, et il développe des troubles anxieux avec insomnies et ruminations. Il doute de ses compétences et remet en question ses choix de vie.
Les objectifs de la prise en charge
Le suivi vise à :
- Aider Pierre à surmonter son choc culturel inversé.
- Réduire ses troubles anxieux et ruminations.
- Restaurer sa confiance en lui et en ses compétences.
- Favoriser une intégration professionnelle et sociale réussie.
Approches Thérapeutiques pour Accompagner le Retour d’Expatriation
Pour aider un expatrié à surmonter les défis psychologiques de son retour, il est essentiel de proposer un accompagnement basé sur des approches diversifiées, adaptées à ses besoins. Voici cinq approches complémentaires, chacune apportant des outils spécifiques pour reconstruire la confiance, atténuer les troubles anxieux et renforcer l’identité.
1. L’Approche Centrée sur la Personne de Carl Rogers
L’approche rogerienne repose sur une écoute active et une empathie inconditionnelle. Le thérapeute offre un espace sécurisant où l’expatrié peut exprimer librement ses émotions sans crainte de jugement.
- Objectifs :
- Aider l’expatrié à retrouver son congruence (alignement entre ses expériences et son identité).
- Renforcer sa capacité d’adaptation en lui permettant de mieux comprendre ses ressentis.
- Mise en pratique : En mettant en lumière les forces intérieures de l’expatrié, cette approche l’aide à accepter ses émotions (culpabilité, nostalgie) et à les transformer en leviers de croissance personnelle.
2. Exploration des Conflits Internes avec Sigmund Freud
L’approche freudienne est utile pour comprendre les conflits inconscients liés au retour. L’expatrié peut ressentir une culpabilité refoulée, qu’il ne comprend pas toujours, par exemple, pour avoir quitté une vie idéale à l’étranger ou pour percevoir le retour comme un « échec ».
- Objectifs :
- Identifier les tensions inconscientes à l’origine des troubles anxieux.
- Permettre une libération émotionnelle grâce à une prise de conscience des schémas répétitifs.
- Mise en pratique : À travers l’association libre, l’expatrié explore ses souvenirs, ses rêves et ses pensées. Par exemple, il peut revisiter des moments marquants de son expatriation pour mieux comprendre pourquoi il les idéalise ou les regrette.
3. Hypnose Ericksonienne : Mobiliser les Ressources Intérieures
L’hypnose ericksonienne, centrée sur l’inconscient, aide l’expatrié à accéder à ses ressources profondes et à reprogrammer ses réponses émotionnelles face aux défis du retour.
Objectifs :
- Mise en pratique : Pendant une séance, le thérapeute guide l’expatrié dans un état de transe légère, où il peut visualiser une transition positive entre sa vie passée et sa réalité actuelle. Par exemple, imaginer ses compétences canadiennes s’intégrant harmonieusement dans son nouvel environnement français.
4. Programmation Neuro-Linguistique (PNL) : Reprogrammer ses Schémas
La PNL est une méthode orientée vers l’action, qui permet à l’expatrié de restructurer ses pensées et comportements pour atteindre ses objectifs personnels et professionnels.
- Objectifs :
- Identifier et modifier les croyances limitantes (par exemple, « Je ne suis pas compétent »).
- Développer des stratégies d’adaptation efficaces au nouvel environnement.
- Techniques utilisées :
- Ancrage positif : Associer des souvenirs de succès à des états émotionnels de confiance, utilisables au besoin.
- Recadrage : Revoir une situation perçue comme négative sous un angle constructif. Par exemple, considérer le marché du travail français comme une opportunité d’apprentissage.
- Modélisation : Observer les expatriés ayant réussi leur retour et adapter leurs stratégies.
5. Reconstruction Identitaire avec George Herbert Mead
Selon Mead, l’identité se construit dans l’interaction sociale. Le retour d’expatriation nécessite une redéfinition du Soi, intégrant les transformations vécues à l’étranger.
- Objectifs :
- Reconnecter l’expatrié avec son identité profonde en valorisant son expérience internationale.
- Aider à reconstruire une narration cohérente entre passé, présent et futur.
- Mise en pratique :
- Le thérapeute encourage l’expatrié à relier ses valeurs et compétences acquises à l’étranger à ses objectifs actuels. Par exemple, en intégrant ses qualités de flexibilité et de leadership dans son projet professionnel.
Synthèse des Bénéfices
En combinant ces cinq approches, le thérapeute propose une prise en charge globale et personnalisée:
- L’écoute rogerienne offre un espace de sécurité émotionnelle.
- L’exploration freudienne permet de libérer les tensions inconscientes.
- L’hypnose ericksonienne favorise une réduction rapide des symptômes anxieux.
- La PNL fournit des outils pratiques pour des changements immédiats.
- La théorie du Soi aide à reconstruire une identité alignée avec les nouvelles réalités.
Ce travail thérapeutique aide l’expatrié à transformer une période de crise en une opportunité de croissance personnelle et professionnelle.
Rebondir après le Retour : vers une Nouvelle Vie
- Le retour d’expatriation est une traversée émotionnelle complexe, mais il peut être transformé en opportunité de croissance. Le retour est une étape du voyage, une redéfinition de soi et de ses aspirations.
- Grâce à un accompagnement adapté, Pierre peut retrouver son équilibre, valoriser son expérience internationale et envisager un avenir professionnel et personnel épanouissant.
Conclusion : Un Retour à Transformer
Le retour d’expatriation, bien qu’inattendu dans ses défis, est une occasion unique de croissance. Les expatriés, en s’appuyant sur des approches psychologiques adaptées et un travail personnel, peuvent transformer ce défi en tremplin pour une vie riche et alignée avec leurs aspirations profondes.
Bibliographie
- Bandler, R., & Grinder, J.,Frogs into Princes: Neuro Linguistic Programming, 1979.
- Berry, J. W.,Human Behavior in Global Perspective: An Introduction to Cross-Cultural Psychology, 1997.
- Black, J. S., Gregersen, H. B., & Mendenhall, M. E., Expatriate Assignment – A Means for Career Development: Case Studies of Four Swedish MNCs, 1992.
- Bridges, W., Managing Transitions: Making the Most of Change, 1991.
- Erickson, M., Collected Papers on Hypnosis and Hypnotherapy, 1980.
- Freud, S., Introduction à la psychanalyse, 1916.
- Fréant, A.-L., Retour en France : Comprendre et préparer la transition, https://retourenfrance.fr/, 2016.
- Guérin, E., Résumé mémoire retour expatriation 2014-2016.
- Hofstede, G.,Cultures and Organizations: Software of the Mind, 1996.
- Mead, G. H., Mind, Self, and Society from the Standpoint of a Social Behaviorist, 1934.
- Pessoa, F., Le Livre de l’intranquillité, 1982.
- Rogers, C., On Becoming a Person: A Therapist’s View of Psychotherapy, 1961.
- Saint-Exupéry, A., Terre des Hommes, 1939.